Tribunal de Grande Instance de Nice en date du 08 avril 2015
L’affaire dont il est fait état dans le présent article concerne l’indemnisation suite à une agression, d’un poste de préjudice assez particulier qu'est la pénibilité au travail et ce malgré l'impossibilité d'identifier les auteurs de l'infraction.
En effet, une personne victime d’une infraction peut demander sous certaines conditions à la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) à être indemnisée du préjudice qu'elle subit.
La procédure devant la CIVI et les conditions de recevabilité sont prévues dans le Code de procédure pénale (articles 706-3 et suivants du CPP).
Ainsi, même lorsque l’auteur de l’infraction est insolvable ou bien inconnu, la victime pourra présenter une requête devant la CIVI et sera indemnisée par cette dernière si la demande est jugée recevable.
Notre cabinet a été amené à défendre les intérêts du Docteur X, cancérologue spécialisé dans les cancers de la mâchoire, ayant été agressé par des individus ayant pris la fuite.
En l’espèce, le Docteur X a été victime d’une tentative de vol avec violences volontaires alors qu’il circulait à bord de son scooter.
Alors qu’il était arrêté à un feu, deux individus se sont approchés de lui et l’ont violenté dans le but de lui dérober son véhicule.
Malgré la violence des coups portés, le Docteur X a réussi à se libérer et les auteurs de l’infraction se sont alors enfuis sans pouvoir être rattrapés et identifiés.
Suite à cette agression, le Docteur X a demandé à la CIVI du Tribunal de Grande Instance de NICE à ce qu’un expert soit désigné afin que ce dernier évalue le préjudice qu'il subit.
Après dépôt du rapport, le Docteur X a formulé une requête en indemnisation auprès de la CIVI qui a été déclarée recevable.
Sur la base du rapport d’expertise, le Docteur X à sollicité l’indemnisation de son entier préjudice devant la CIVI.
Plusieurs postes de préjudice ont été retenus, notamment l’indemnisation de la pénibilité au travail.
Comme son nom l’indique, ce poste de préjudice vise à indemniser les conséquences de l’agression sur le travail du Docteur X.
Le Docteur X est un chirurgien hautement spécialisé et a un savoir faire reconnu dans le monde entier en ce qui concerne notamment la chirurgie réparatrice de la mâchoire à la suite d’un cancer.
Notre argumentation a été de démontrer que la quasi-totalité des opérations effectuées par le Docteur X nécessite un positionnement des membres supérieurs à l’horizontale s’agissant de la microchirurgie.
De ce fait, la douleur aux épaules du fait de l’agression est souvent très lourde pendant ces opérations.
La CIVI a suivi notre argumentation et a indemnisé le Docteur X de ce poste de préjudice au motif que cette pénibilité au travail lors des opérations liées à l’état séquellaire physique imputable à l’infraction correspond à un poste de préjudice distinctement indemnisable.
Par ailleurs, la CIVI a indemnisé le Docteur X de tous les autres postes de préjudice imputables à l’agression.
Article rédigé par Monsieur Rami BEN KHALIFA, stagiaire au sein du Cabinet d’Avocat FOUQUES, étudiant à l’Université de Nice Sophia-Antipolis.
N'hésitez pas à nous contacter pour plus de renseignements sur ce type de situation au 04.93.58.10.96 ou par courriel
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Rôle N° 11/00236
COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NICE
COMMISSION D’INDEMNISATION DES VICTIMES D’INFRACTIONS PENALES DES ALPES MARITIMES
JUGEMENT DU 08 AVRIL 2015
Lors des débats en chambre du conseil le 24 Février 2015
PRESIDENT : Michel BONNET
ASSESSEURS : Céline POLOU, Alain FOURNIER, assesseur titulaire
GREFFIER : Marie-Françoise ZAMUNER
MINISTERE PUBLIC : Clotilde GALY, Vice Procureur de la République
DEMANDEUR :
Monsieur X...
Représenté par Maître Florian FOUQUES, avocat au barreau de GRASSE, avocat plaidant
DEFENDEUR :
Monsieur le Directeur Général du Fonds de Garantie
non comparant ni représenté
DEBATS :
La demande a été évoquée à l’audience du 24 Février 2015
A cette audience, Michel BONNET, Président, a été entendu en son rapport.
Avis a été donné aux parties à l’audience en chambre du conseil du 24 Février 2015 que le jugement serait prononcé le 08 Avril 2015 par mise à disposition au greffe.
JUGEMENT :
Prononcé par mise à disposition au greffe,
Par décision réputée contradictoire,
En premier ressort
FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Vu la requête introductive d’instance et les pièces jointes, ensemble l’Ordonnance de Cabinet du Président de cette Commission rendue le 16 mai 2013 dans le cadre de la présente instance en indemnisation introduite par Monsieur X…, toutes pièces et décisions régulièrement communiquées aux parties, et auxquelles il conviendra de se référer pour un plus ample exposé des circonstances de la cause et des moyens d’origine développés par la partie demanderesse ainsi que par le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions.
Vu le rapport d’expertise médicale de la victime, déposé le 30 juillet 2013 par le Docteur TOUBOUL, désigné par ladite Ordonnance.
Vu les courriers et pièces jointes déposés pour le demandeur les 14 octobre 2013, 6 février et 1 juillet 2014 (communication des procès-verbaux de Police relatifs à la tentative de vol avec violences en date à Nice du 21 septembre 2011 dont a été victime Monsieur X… - décision de classement sans suite prise le 17 avril 2012 par les services du Procureur de la République à Nice).
Vu la lettre du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions en date du 31 juillet 2014, avisant la Commission d’une offre transactionnelle faite à Monsieur X… au titre l’article 706-5-1 du code de procédure pénale.
Vu les courriers et pièces jointes déposés pour le 23 septembre 2014 (maintien des termes de la requête, soit une réclamation indemnitaire totale de 44.314,58 euros, détaillée poste par poste de préjudice, au vu des conclusions du rapport TOUBOUL, dont 29.752,38 euros au titre de l’indemnisation de la pénibilité au travail, outre une demande d’allocation de la somme de 2500 euros au titre des frais irrépétibles), ainsi que 13 février 2015, régulièrement notifiées au Fonds de garantie.
Vu les lettres d’observations en date des 28 août 2014 et 12 février 2015, régulièrement notifiés à la partie demanderesse, dont il résulte que le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions, à défaut d’accord transactionnelle avec la victime, sollicite la réduction des indemnités réclamées, offrant de régler la somme totale de 14.100 euros, dont 5000 euros au titre de l’incidence professionnelle.
A l’audience, le Ministère Public a déclaré s’en remettre à justice.
MOTIFS DE LA DECISION :
La CIVI est une juridiction civile autonome (article 706-4 du code de procédure pénale), elle met en œuvre un dispositif spécifique d’indemnisation, fondé sur la solidarité Nationale, au bénéfice des victimes dont la situation répond aux conditions spécifiques posées par le code de procédure pénale.
Ces dispositions spécifiques applicables devant la Commission résidant essentiellement dans les articles 706-3 et 706-14 du code de procédure pénale, elles visent, sur le fond et en l’état actuel des textes que cette Commission doit appliquer, à permettre l’indemnisation des victimes les plus gravement atteintes dans leur personne, et de celles aux ressources particulièrement faibles, placées par l’infraction dans une situation matérielle ou psychologique grave, au sens où l’a précisé la Jurisprudence, dès lors que la demande en indemnisation s’inscrit dans le délai pour agir tel que déterminé par les dispositions de l’article 706-5 du même code.
En l’occurrence le Fonds de garantie ne conteste pas la matérialité de l’agression du 21 septembre 2011, laquelle résulte au demeurant des pièces d’enquête versées aux débats, dont il s’ensuit que ce jour-là, en fin de matinée Monsieur X… a été agressé par deux individus qui lui ont porté de multiples coups dans le but de s’emparer du scooter avec lequel il circulait ce jour-là, à Nice, avant de réussir à prendre la fuite.
Par ailleurs le rapport TOUBOUL, dont les conclusions ne sont en rien contestées, détermine u taux d’IPP imputable de 3% (in globo).
Dans ces conditions la requête en indemnisation s’inscrit dans les conditions de l’article 706-3 du code de procédure pénale.
Et sera déclarée recevable dans son principe, sans autres digressions.
S’agissant de la liquidation des indemnités, compte tenu des conclusions du médecin expert, lesquelles ne sont remises en cause de façon pertinente par aucune des parties, et procèdent d’un travail sérieux et argumenté, réalisé dans le respect du contradictoire, et au vu des pièces produites dans le temps de l’expertise, ainsi que l’âge de la victime, soit 55 ans , au jour de la consolidation, déclarée acquise au 19 octobre 2012, ainsi que de sa situation professionnelle (chirurgien), il convient d’évaluer le préjudice comme suit, dans la limite des prétentions respectives des parties et en réponse aux moyens clairement développés par elles, sachant :
Qu’en l’état de la modification de l’article L376-1 du code de la sécurité sociale, par l’article 25 de la loi N° 2006-1640 du 21 décembre 2006, applicable aux instances en cours à la date de son entrée en vigueur, soit au 23 décembre 2006, les prestations servies par l’organisme social n’ont vocation à s’imputer que sur les postes de préjudices de la victime auxquels elles correspondent strictement, qu’il s’agisse, au demeurant, de postes de préjudice correspondant à des atteintes directes à l’intégrité physique de la victime, ou de postes de préjudices traditionnellement qualifiés de personnels, sauf à démontrer que telle ou telle prestation assumée par l’organisme social correspond à l’indemnisation d’un préjudice susceptible d’être qualifié de personnel. Ceci n’a pas d’incidence dans le cas d’espèce, compte tenu de la nature des faits, des limites des prétentions respectives des parties, et de l’absence de preuve d’une imputation nécessaire de tels ou tels débours sur les postes de préjudices concernés par les réclamations de Monsieur X…
Qu’en l’espèce les blessures et troubles ont consisté essentiellement en un état polycontusionnel en région mentonnière, poignet droit, cuisse gauche et principalement au niveau de l’épaule et du coude gauches, doublé d’un choc émotif majeur, l’évolution étant marquée par la persistance de scapulalgies gauches en rapport avec une fissuration du tendon sus-épineux de l’épaule gauche, outre une décompensation anxiophobique secondaire à un état de stress post traumatique, le tout n’ayant pas justifié d’hospitalisation, mais la prescription de divers traitements itératifs comportant antalgiques, anti-inflammatoires, myorelaxants et anxiolytiques.
Que la consolidation est donc déclarée acquise, sans autre contestation des parties à la date du 19 octobre 2012.
Que l’état séquellaire est constitué, du point de vue physique, de scapulalgies gauches survenant lors de sollicitations et de mouvements d’élévation antérieure prolongés (au-delà de l’horizontale) avec une gêne douloureuse lors des mouvements d’élévation antérieure et adduction en fin de course, et, du point de vue psychologique, par un état de stress post traumatique caractérisé par la pérennisation des troubles anxiophobiques (reviviscences et réminiscences de la scène traumatisante, hypervigilance sur la voie publique, syndrome d’évitement) ce qui conduit l’expert judiciaire à conclure à une IPP de 3% toutes causes confondues.
Qu’en ce qui concerne l’indemnisation de la pénibilité au travail, pour laquelle Monsieur X…, chirurgien spécialisé de son état, sollicite la somme totale de 29.752,38 euros (en capitalisant 3% de la perte nette moyenne annuelle de revenus par application du coefficient de rente applicable à un sujet masculin de 54 ans à échéance de 65 ans, tel que résultant du barème publié à la Gazette du Palais en 2013 au taux de 1,20), le Docteur TOUBOUL indique que l’intéressé est, au plan médical, physiquement et intellectuellement apte à assurer la profession qu’il exerçait, sauf à indiquer une pénibilité accrue de la pratique d’interventions longues de microchirurgie (nécessitant un positionnement des membres supérieurs à l’horizontale pendant de nombreuses heures), et cette pénibilité accrue, liée à l’état séquellaire physique tel que rappelé ci-dessus, correspond donc à un poste distinctement indemnisable, directement imputable aux conséquences médico-légales de l’infraction, sachant toutefois que ce chef de dommage a pour vocation d’indemniser non la perte de revenus liée à l’invalidité permanente de la victime mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle en raison notamment de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi occupé. Dans ces conditions, eu égard au taux d’IPP de 3%, qui n’inclut, au demeurant, que pour partie les séquelles physiques à rattacher aux éléments de pénibilité accrue, ainsi que l’âge de la victime, qui ne démontre en fait aucune perte financière imputable à cette pénibilité accrue, considérant toutefois le caractère très spécifique de la profession exercée par le demandeur, la Commission, d’une part, ne peut retenir le mode de calcul par capitalisation proposé par Monsieur X…, et d’autre part, dispose des éléments suffisants pour arbitrer à la somme de 10.000 euros l’indemnisation distincte de ce poste de préjudice.
Savoir le détail d’indemnités suivants, dans la limite des réclamations formulées :
Dépenses de santé actuelles (frais médicaux et pharmaceutiques, frais d’hospitalisation, transports, actes infirmiers, radiologie et imagerie, massages et divers)
Frais divers (assistances à expertises) : 500 euros (restés à charge selon justificatif, ainsi que le précise le demandeur par courriers des 31 janvier et 16 septembre 2014).
Préjudices liés à l’incapacité temporaire totale ou partielle de travail- déficit fonctionnel temporaire total ou partiel (gêne dans les actes de la vie courante – base 750 euros/mois) :
Au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel 33% durant 10 jours : 82,50 euros.
Au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel 10% durant deux mois : 150 euros.
Au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel dégressif jusqu’à la consolidation : 486 euros.
Sous-total : 718,50 euros.
Souffrances endurées évaluées à 2,5/7 : 4000 euros (Physiques et psychiques)
Préjudice d’agrément partiel (pénibilité pour la pratique du vélo et du jardinage) : 2300 euros
IPP - déficit fonctionnel permanent au taux de 3% : 1250 euros le point soit 3750 euros (toutes causes confondues)
Incidence professionnelle : 10.000 euros
Total d’indemnités pour la victime : 21.268,50 euros.
Pour le surplus
Compte tenu des frais irrépétibles nécessairement engagés par la victime – qui ne bénéficie pas de l’aide juridictionnelle, en l’état des pièces produites – pour faire face à la présente instance devant la Commission, un somme de 900 euros sera allouée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il convient, compte tenu de l’ancienneté des faits, et de la nature de la présente instance en indemnisation, d’ordonner d’office l’exécution provisoire de la présente décision.
Les dépens de l’instance seront supportés par le Trésor Publique, en application des articles R92-15° et R 50-21 du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS :
La Commission, statuant en chambre du Conseil, par jugement réputé contradictoire, et en premier ressort,
Dit que le requérant a la qualité de victime, au sens de l’article 706-3 du code de procédure pénale, suite aux faits en date à Nice du 21 septembre 2011, qualifiables tentative de vol avec violences en réunion.
Alloue à Monsieur X… une indemnité totale de 21.268,50 euros, suivant les distinctions par postes de préjudice précisées aux motifs du présent jugement.
Lui alloue une somme de 900 euros au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision.
Laisse les dépens de l’instance, en ce compris les honoraires de l’expert désigné dans le cadre de la présente instance, à la charge du Trésor Publique.
ET LE PRESENT JUGEMENT A ETE SIGNE PAR LE PRESIDENT ET LE GREFFIER.