Ordonnance du premier président de la Cour d’appel de Paris du 12 avril 2023
Le présent article s’attache à définir et à distinguer le jugement rendu par défaut et le jugement réputé contradictoire au travers de la saisine du premier président de la Cour d’appel selon les dispositions de l’article 540 du Code de procédure civile.
Selon offre de prêt immobilier consentie à un père et sa fille souhaitant acquérir un nouvel appartement en 2014, les consorts ne se seraient pas acquittés régulièrement des échéances visées par le contrat de prêt.
Les consorts n’auraient pas respecté les obligations qui leur incombaient de par le contrat de prêt, la société qui s’était portée caution de ce même contrat de prêt a assigné les acquéreurs devant Tribunal judiciaire de Melun.
Par jugement rendu le 25 août 2020, la déchéance du terme du contrat a été prononcée et les consorts ont été condamnés solidairement à payer à la partie adverse la somme de 84.413,82€, avec intérêts au taux légal.
Néanmoins, ce jugement a été signifié le 1er octobre 2020 à une adresse qui n’était plus celle de la cocontractante depuis plusieurs mois. En effet, contrainte de changer de domicile en raison du comportement de son conjoint, elle n’a pris connaissance de l’existence de cette décision de condamnation que le 10 novembre 2022 à l’occasion de la signification à son domicile d’un commandement de payer valant saisie immobilière.
Dès lors, bien que le jugement n’ait été porté à sa connaissance que tardivement, la cocontractante est-elle fondée à saisir le premier président de la Cour d’appel afin d’être relevée de forclusion ?
Il convient d’abord de de distinguer un jugement rendu par défaut d’un jugement réputé contradictoire. La qualification du jugement a pour principale conséquence de déterminer les possibilités de former un recours à son encontre. Ces deux types de jugement se distinguent, d’ailleurs, par les voies de recours envisageables.
Le jugement par défaut est, selon les dispositions de l’article 473 du Code de procédure civile, une décision de justice rendue en l'absence de comparution de la partie adverse lorsque le jugement est rendu en dernier ressort (jugement définitif qui n’est pas susceptible de recours) et que la citation (l'acte d'huissier) n'a pas été délivrée à personne. Il est possible pour la partie adverse de former opposition ; c’est-à-dire que la partie qui n’a pas comparu peut saisir de nouveau le tribunal devant lequel a été rendu le jugement par défaut en demandant de juger une nouvelle fois l’affaire.
L’article 474 du Code de procédure civile définit le jugement réputé contradictoire comme le jugement rendu sans la présence de la partie adverse ou dont la citation lui a bel et bien été délivrée, mais qui est susceptible de recours devant une Cour d’appel.
Il convient de souligner que les jugements par défaut et réputés contradictoires supposent, par définition, que la décision ait été rendue en l'absence du ou des défendeurs. En l’occurrence, le jugement de condamnation à l’encontre de l’acquéresse est réputé contradictoire car la citation était censée avoir été délivrée à son domicile, et, ce même jugement est susceptible de recours devant une Cours d’appel.
Par conséquent, elle était bien légitime à invoquer l’article 540 du Code de procédure civile devant le premier président de la Cour d’appel.
L’article 540 du Code de procédure civile dispose
« Si le jugement a été rendu par défaut ou s'il est réputé contradictoire, le juge a la faculté de relever le défendeur de la forclusion résultant de l'expiration du délai si le défendeur, sans qu'il y ait eu faute de sa part, n'a pas eu connaissance du jugement en temps utile pour exercer son recours, ou s'il s'est trouvé dans l'impossibilité d'agir.
Le relevé de forclusion est demandé au président de la juridiction compétente pour connaître de l'opposition ou de l'appel.
Le président est saisi par voie d'assignation.
La demande est recevable jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois suivant le premier acte signifié à personne ou, à défaut, suivant la première mesure d'exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur.
Le président se prononce sans recours.
S'il fait droit à la demande, le délai d'opposition ou d'appel court à compter de la date de sa décision, sauf au président à réduire le délai ou à ordonner que la citation sera faite pour le jour qu'il fixe. »
Il est à noter que la notion d’absence de faute est capitale. Sans cet élément, il n’aurait pas été possible pour l’acquéresse d’invoquer l’article 540 du Code de procédure civile. L’essence même de cet article réside dans la notion d’absence de faute de la partie envers laquelle le tribunal est entré en voie de condamnation.
En l’espèce, la partie adverse avance une faute de la cocontractante, qui aurait omis de lui communiquer sa nouvelle adresse et aurait, par conséquent, eu connaissance de la procédure devant le tribunal judiciaire de Melun.
Or, l’adresse à laquelle a été signifiée l’assignation de la débitrice devant le tribunal judiciaire de Melun n’était plus la sienne, et ce, depuis quelques temps déjà. Afin de préserver la sécurité de son enfant et la sienne, la cocontractante a pris l’initiative de déménager pour échapper au comportement violent de son conjoint.
Également, la partie adverse avait été informée de la nouvelle adresse de la débitrice puisqu’elle l’a elle-même communiquée à l’occasion de documents transmis antérieurement à la date du jugement du 25 août 2020.
De ce fait, la mauvaise foi de la débitrice invoquée par la partie adverse n’est pas caractérisée car l’erreur invoquée ne lui incombe pas.
De plus, la saisine du premier président de la Cour d’appel n’est pas une voie de recours anodine.
En effet, c’est un recours exceptionnel qui n’a été rendu possible, seulement parce que la débitrice n’a commis aucune faute conformément aux dispositions de l’article 540 du Code de procédure civile.
Il en résulte que si les conditions de l’article 540 du Code de procédure civile n’étaient pas réunies au profit de l’acquéresse, alors la décision rendue par ordonnance du premier président de la cour d'appel ne lui aurait pas été favorable.
Au même titre que l’absence de faute, la bonne foi de la débitrice est un point essentiel de cette affaire sans lequel la débitrice aurait été déboutée de ses demandes.
Par ordonnance du 12 avril 2023, il a été retenu que la cocontractante n'a pas eu connaissance du jugement rendu par le Tribunal de Melun en temps utile pour exercer son recours, sans faute de sa part.
Les demandes de l’acquéresse lui ont été accordées la relevant ainsi de forclusion qui résultait de l'expiration du délai pour interjeter appel du jugement réputé contradictoire rendu le 25 août 2020.
En définitive, c’est uniquement grâce à l’absence de faute de sa part qu’a été signifié le rejet des demandes de la partie adverse et qu’elle a maintenant la capacité d’interjeter appel de la décision présente dans un délai de deux mois.
Article rédigé par Méline DIETSH, étudiante en troisième année à la faculté de droit et sciences politique Aix-Marseille.
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COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 5
ORDONNANCE DU 12 AVRIL 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Août 2020 du TJ de MELUN - RG n° 20/00084
Nature de la décision : Rendue par défaut
NOUS, Rachel LE COTTY, Conseillère, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Cécilie MARTEL, Greffière.
Vu l’assignation en référé délivrée à la requête de :
Madame B…
Représentée par Me M… substituant Me H… de la SELARL L…, avocat au barreau de PARIS,
DEFENDEURS :
S.A. CREDIT LOGEMENT
Représentée par Me R… substituant Me L… de l’AARPI Cabinet T…, avocat au barreau de PARIS,
Monsieur T…
Non comparant ni représenté à l’audience
Et après avoir appelé les parties lors des débats de l’audience publique du 15 Mars 2023:
Par jugement réputé contradictoire du 25 août 2020, le tribunal judiciaire de Melun a condamné solidairement M. T… et Mme B… à payer à la société Crédit Logement la somme de 84.413,82 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2019, outre la somme de 700 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par actes des 19 décembre 2022 et 4 janvier 2023, Mme B… a assigné la société Crédit Logement et M. T… devant le premier président de cette cour pour être relevée de forclusion et autorisée à interjeter appel de ce jugement, sur le fondement de l'article 540 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions déposées et développées oralement à l'audience du 15 mars 2023, elle expose que le jugement a été signifié selon les dispositions de l'article 659 du code de procédure civile et qu'elle n'en a eu connaissance que lors de la signification à son domicile, le 10 novembre 2022, d'un commandement de payer valant saisie immobilière.
Elle précise que, lors de la signification du jugement du 25 août 2020, elle ne résidait plus depuis plusieurs mois à l'adresse indiquée dans l'acte, [Adresse 1], mais résidait au [Adresse 2]. Elle affirme qu'elle n'est pas une débitrice de mauvaise foi mais a été confrontée à une « descente aux enfers », ayant vécu une très lourde procédure criminelle, correctionnalisée en fin d'instruction, en qualité de victime de son ancien conjoint, qui explique son changement de domicile pour échapper à celui-ci. Elle expose avoir dû déposer un dossier de surendettement dans lequel la dette objet du jugement est indiquée et à l'occasion duquel elle avait communiqué sa nouvelle adresse, dont la société Crédit Logement était donc informée.
Aux termes de ses conclusions déposées et développées à l'audience, la société Crédit Logement sollicite le rejet de la demande de relevé de forclusion et la condamnation de Mme B… aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que Mme B… ne lui a pas communiqué sa nouvelle adresse lors de son déménagement, en contradiction avec les conditions générales de l'offre de prêt, de sorte qu'elle a commis une faute en méconnaissant ses engagements contractuels. Elle ajoute que celle-ci a réceptionné la lettre recommandée de dénonciation de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire ainsi que la lettre recommandée adressée par le commissaire de justice ayant dressé le procès-verbal selon les dispositions de l'article 659 du code de procédure civile lors de l'assignation délivrée le 26 décembre 2019 devant le tribunal judiciaire de Melun.
Elle soutient que c'est à la suite d'une faute de Mme B… que celle-ci n'a pas comparu à l'audience, ce qui explique la signification du jugement selon les dispositions de l'article 659 du code de procédure civile et le retour de la lettre recommandée avec la mention « destinataire inconnu à cette adresse ».
Elle estime que Mme B… disposait de deux adresses au moment de la délivrance des actes et qu'elle ne peut en conséquence se plaindre de la confusion qu'elle a elle-même créée pour des raisons qui lui sont propres. Elle ajoute qu'elle a encore une fois changé de domicile depuis lors puisque le commandement aux fins de saisie immobilière lui a été adressé à une troisième adresse, [Adresse 3].
A l'audience du 15 mars 2023, les conseils des parties ont été entendus en leurs observations au soutien de leurs écritures.
M. T…, cité selon les dispositions de l'article 659 du code de procédure civile, n'a pas comparu.
SUR CE,
Aux termes de l'article 540 du code de procédure civile:
« Si le jugement a été rendu par défaut ou s'il est réputé contradictoire, le juge a la faculté de relever le défendeur de la forclusion résultant de l'expiration du délai si le défendeur, sans qu'il y ait eu faute de sa part, n'a pas eu connaissance du jugement en temps utile pour exercer son recours, ou s'il s'est trouvé dans l'impossibilité d'agir.
Le relevé de forclusion est demandé au président de la juridiction compétente pour connaître de l'opposition ou de l'appel. Le président est saisi par voie d'assignation.
La demande est recevable jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois suivant le premier acte signifié à personne ou, à défaut, suivant la première mesure d'exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur.
Le président se prononce sans recours.
S'il fait droit à la demande, le délai d'opposition ou d'appel court à compter de la date de sa décision, sauf au président à réduire le délai ou à ordonner que la citation sera faite pour le jour qu'il fixe ».
En l'espèce, la demande est recevable comme ayant été formée dans le délai de deux mois du commandement de payer valant saisie immobilière du 10 novembre 2022.
Il est constant que le jugement du tribunal judiciaire de Melun du 25 août 2020, réputé contradictoire, a été signifié à Mme B… le 9 septembre 2020 selon les dispositions de l'article 659 du code de procédure civile à une adresse située [Adresse 1] et que la lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée par le commissaire de justice est revenue avec la mention « destinataire inconnu à l'adresse ».
Mme B… n'a donc pas eu connaissance de cette signification et du jugement prononçant une condamnation à son encontre.
La société Crédit Logement invoque une faute de la débitrice, qui aurait omis de lui communiquer sa nouvelle adresse et aurait eu connaissance de la procédure devant le tribunal judiciaire de Melun.
Mais l'assignation devant le tribunal judiciaire de Melun a été, comme la signification du jugement, signifiée à une adresse qui n'était plus celle de Mme B… depuis plusieurs mois.
En effet, l'assignation du 26 décembre 2019, comme la signification du jugement du 9 septembre 2020, ont été délivrées au [Adresse 1], alors que la demanderesse produit deux attestations de domicile de l'association API Provence, dont il ressort qu'elle a été accueillie avec son enfant en qualité de résidents au sein de la résidence sociale [Adresse 2], à compter du 1er mai 2019 et jusqu'au 4 août 2021 au moins (date de la seconde attestation).
La réception de la lettre recommandée adressée par le commissaire de justice lors de l'assignation et l'absence de comparution de Mme B… à l'audience ne suffisent pas à caractériser une faute de sa part et il est établi qu'elle n'a pas eu connaissance de la signification du jugement pour des raisons qui ne lui sont pas imputables.
A cet égard, il résulte des pièces de la procédure de surendettement qu'à cette date, la société Crédit Logement disposait de sa nouvelle adresse située [Adresse 2] puisque cette adresse avait été communiquée par Mme B… à la commission de surendettement et figurait sur les documents des 9 avril 2019 et 14 octobre 2019 dont disposait la société Crédit Logement en sa qualité de créancier.
Mme B… n'a donc pas commis de faute puisqu'elle a communiqué sa nouvelle adresse à ses créanciers, son déménagement s'expliquant de surcroît par la procédure pénale en cours à l'encontre de son ancien conjoint, dont elle justifie par la production de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel du 28 janvier 2022 et le jugement de ce tribunal du 19 avril 2022.
Enfin, la circonstance alléguée par la société Crédit Logement qu'elle ait de nouveau changé de domicile en 2022, soit deux ans après le jugement du 25 août 2020, est inopérante.
Il est établi que Mme B… n'a pas eu connaissance de ce jugement en temps utile pour exercer son recours, sans faute de sa part.
Elle sera donc relevée de la forclusion résultant de l'expiration du délai pour interjeter appel.
Chacune des parties conservera la charge des dépens par elle exposés à l'occasion de la présente instance, la société Crédit Logement étant déboutée de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
Relevons Mme B… de la forclusion résultant de l'expiration du délai pour interjeter appel du jugement réputé contradictoire rendu le 25 août 2020 par le tribunal judiciaire de Melun;
Autorisons en conséquence Mme B… à interjeter appel de cette décision;
Laissons à chaque partie la charge des dépens par elle exposés à l'occasion de la présente instance;
Rejetons la demande de la société Crédit Logement formée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
ORDONNANCE rendue par Mme Rachel LE COTTY, Conseillère, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
ET LE PRESENT JUGEMENT A ETE SIGNE PAR LA GREFFIERE ET LA CONSEILLERE..